Retour sur la comparution immédiate d’un «émeutier du Mirail » – 18/04/2018

Mercredi 18 avril au Tribunal correctionnel de Toulouse avait lieu la première comparution immédiate d’un jeune « émeutier du Mirail »…

Quelques jours auparavant la nouvelle tombait d’un nouveau « suicide » au mitard de Seysses. Un second taulard a été suicidé la même nuit et succomba quelques jours après de cette tentative réussie. Il ne s’agit pas du premier coup d’essai des surveillants de Seysses passés experts dans le camouflage de leurs exactions (couverture administrative ultra résistante). Quiconque ayant des proches à Seysses est bien conscient de la réalité de ces « suicides ».

Des refus de réintégrer leurs cellules ont eu lieu à l’intérieur, des appels ont tourné sur internet à l’extérieur et des émeutes ont éclatés dans certains quartiers de Toulouse. Les keufs ont bien sûr procédés à de nombreuses arrestations. L’ensemble institutionnel Police-Justice fonctionne à plein régime.

A. est le premier à passer dans cet abattoir à la chaîne qu’est la comparution immédiate, les suivants attendront le vendredi et dormiront en prison jusque là. Il est entendu pour : « violence sur PDAP, dégradation, participation à un groupement en vu de procéder à des violences ou des dégradations ».

L’idée n’est pas là de faire un énième compte rendu d’un procès qui serait plus objectif mais bien de décortiquer les techniques policières et judiciaires qui sont utilisés contre nous pour s’en défendre au mieux.

Ce 18 avril, la salle 5 du TGI est comble. Des dizaines de dessinateurs sont là pour esquisser les portraits de différents protagonistes, de nombreux journalistes avec leurs calepins sont sur le qui vive et grattent sur l’affaire. Des caméras attendent à la sortie de la salle d’audience. L’affaire est clairement sous les projecteurs, le contexte est « médiatique ». Après plusieurs nuits d’affrontements, le pouvoir dispose les engrenages nécessaires pour rétablir la passivité.

Le Président demande à A.s’il souhaite prendre du temps pour préparer sa défense, puis alors qu’il accepte d’être jugé immédiatement, le président procède à l’instruction. Pendant l’instruction (le président explique l’affaire et pose des questions au prévenu), on apprend que le jeune majeur de 18 ans a publié une vidéo de lui en train d’insulter les flics, qu’il a nié pendant tout le début de la garde à vue avoir procédé à des violences jusqu’à ce que cette vidéo lui soit présentée lors de la confrontation avec les keufs qui l’ont interpellé. Il a été arrêté avec un mineur qui a, lui, maintenu sa déposition initiale c’est à dire qu’aucun des deux n’avait lancé de pierre.

Un débat a lieu, pendant l’instruction, sur la taille de la pierre et A. affirme qu’il s’agissait plutôt d’un petit caillou. Impact sur le toit et sur le bord de la carrosserie. De l’aveu du président, ce sont de tous petits impacts à peine visibles.

Bien entendu, le président s’attarde sur son profil, sur la question de sa nationalité (espagnole d’origine marocaine), sur la raison de son arrivée de France (la perte d’emploi de son père et Espagne, emploi retrouvé en France). Un assesseur lui reproche son ingratitude civique et morale : « Mais enfin si votre père a su profiter de l’opportunité que la France lui a offerte et est parvenu à s’intégrer, pourquoi combattez vous l’ordre républicain ? » (sic)

Le président précise le cadre, leur décision est une question d’équilibre, elle est fonction de son profil social (il est en CAP et n’a jamais été condamné) mais aussi du contexte. Le contexte est particulier, il est celui de violences urbaines où des policiers sont pris pour cible.

Lorsque la décision sera donné, le président le dit clairement : A. a pris du ferme UNIQUEMENT au vu du contexte sinon il aurait simplement écopé d’un sursis (il sera condamné à 6 mois dont 3 avec sursis).

Cette parole de juge est lourde d’enseignement. Nous avons un intérêt majeur à refuser la comparution immédiate !!! Demander du temps pour préparer sa défense, différer l’audience, l’extirper du rush médiatique qui nous est défavorable.

Ici, la médiatisation a inféré la sévérité de la décision.

Elle a aussi poussé le procureur à faire son sketch républicain à base de « les formidables policiers » « sont là pour sécuriser, pour que les pompiers avancent », « servent leur pays au péril de leur vie à l’instar du colonel de gendarmerie qui a donné sa vie face au terrorisme », « sont toute la nuit sur le terrain, ne récupèrent presque pas » « ont pour mission de protéger la société » et « ils font remarquablement leurs travail, sont bien organisés puisqu’ils sont habitués aux manifestations sur Toulouse ».

Il dépeint une « réalité de certains quartiers de notre beau pays démocratique la France où certains  citoyens veulent vivre tranquillement. Pour cela les différentes institutions de la république et notamment la police républicaine doivent pouvoir aller partout ».

Il s’arrête longuement sur la « haine déversée sur les réseaux sociaux », lit un appel qui a circulé sur internet : « « les porcs » : c’est de la police nationale dont on parle, c’est une honte », avant d’y aller de ses considérations météorologiques : « Alors qu’on est en période estival, quel gâchi !!! »

Il revient à plusieurs reprise sur son rôle, reprend l’inculpé qui a eu le malheur de détourner son regard pour regarder la salle « moi Ministère Public je représente la société et ce que je vous dis c’est important pour vous qui n’avez pas respecté les règles », insiste sur le fait qu’il n’a aucun intérêt si ce n’est de faire respecter la loi… (c’est bien ce qu’on lui reproche)

Il insiste sur les dizaines et des dizaines de voitures brûlées, les panneaux, les lampadaires. « Qui va payer ?? ” nos impôts et nos assurances !! » et le retentissement national de ces émeutes. « Les citoyens attendent une réponse pénale immédiate », « la justice est le dernier rempart ».

Ça ne pourrait être plus limpide, ça pue d’être jugé sous les projecteurs….

La seconde caractéristique de ce procès, c’est l’absence de défense. L’avocate du prévenu s’est contenté de dire qu’il ne fallait pas faire d’amalgame entre son client et le contexte.

C’est vrai mais complètement illusoire de l’invoquer de la sorte. Par ailleurs il n’y a eu aucune défense sur les faits.

Pour se défendre correctement, la première nécessité est de ne « RIEN DÉCLARER » en garde à vue. Quelque soit le contexte. Pour les keufs, l’aveu c’est la preuve ultime. C’est la raison pour laquelle ils ont tout un tas de techniques pour faire craquer comme ici, dire qu’ils savent déjà  tout (en présentant la vidéo alors même que la vidéo n’était pas une preuve de violence) ou en essayant de mettre tout un tas de truc sur le dos pour que soit avoué par l’interpellé au moins une partie des faits.

En l’occurence, l’aveu n’a pas seulement concerné celui qui a avoué, il a constitué une preuve contre le co-prévenu également… Et le procureur a bien insisté dessus : « Puisque le premier a admis, le second qui a nié pour les deux a nécessairement menti… »

Ne rien déclarer donne toute latitude pour sa défense au moment opportun, c’est à dire au moment du procès.

Ce qu’on appelle le refus de compa, c’est à dire le fait de demander du temps pour préparer sa défense laisse également du temps à l’avocat de potasser le dossier. Là, l’avocat n’a eu que très peu de temps pour accéder au dossier. Elle n’est même pas rentrée sur la question de savoir quelle type de projectile a été lancé, si la cible a été atteinte (la tentative de violence n’existe pas en droit !!!!). Bref, le jet étant admis, l’avocate s’est arrêté  là. Pourtant, ça peut faire une foutue différence!

Les dépositions des policiers sont bien souvent contestables .Ici 3 d’entre eux (avec une déposition strictement identique certainement a posteriori comme ils le font toujours) avaient formellement reconnus les individus. Ils l’avaient vu « dans le noir » (habillé exactement comme il comparaissait), jeter des pavés de béton.

Ici le procureur a insisté sur le fait que les keufs avaient admirablement travaillé.

« Et ils avaient raison, on entend trop souvent leur parole remise en cause dans les procès de violence urbaine ».

Il ajoute que dans tous les cas il aurait soutenu leur description mais que l’aveu le corrobore et que « ça fait du bien ».

En d’autres termes, sans aveu, le proc le sait très bien, les identifications dans le feu de l’action sont très contestable (surtout dans le noir). Mais ici, cet aveu n’était pas identique aux descriptions des keufs, il fallait le souligner !

La seule défense qu’il restait alors était l’habituelle défense de connivence que prônent bon nombre d’avocat et que les juges se plaisent à entendre : demander « pardon », dire « je suis très bête », « je le referais plus », « les flics sont formidable »… Non seulement elle ne permet pas de s’en sortir mieux mais  de plus cette défense ne permet absolument pas de poser la question du mouvement en cours, de renverser l’accusation.

Le seul moment où a été abordé la question des raisons de cette révolte fût dans la bouche du procureur et par conséquent pour dire que « les rumeurs » sur l’assassinat au mitard relèvent de la théorie du complot.

S’il y a donc quelques conseils à retenir de cette affaire :

  1. les vidéos et les réseaux sociaux sont incriminants, les éviter pendant les épisodes de révolte !
  2. Ne rien déclarer en garde à vue ! C’est différent que ne rien admettre, nier est déjà une déclaration et peut parfois se révéler être contradictoire avec les éléments du dossier
  3. Demander du temps pour préparer sa défense !
  4. Préparer des garanties de représentation en amont puisque lorsque la compa est refusée, un débat s’amorce sur l’incarcération en attendant le procès ou la libération éventuellement sous contrôle judiciaire.

Solidarité avec tous les interpellés et les prisonniers de Seysses et d’ailleurs

La Caisse d’Autodéfense Juridique (CAJ)